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Cette guerre serait la nôtre


Par Alexis de Cazemont*


Oui, cette guerre serait la nôtre. Pas simplement parce que le pétrole koweitien de fait, est le nôtre (faut-il rappeler que nous le payions, et fort cher ?). Pas non plus parce que l'idée de Nation est la nôtre, et que nous l'avons exportée, bien avant les canons et les centrales nucléaires, chez ces gens.

Cette guerre serait la nôtre, évidemment, parce que tout abandon ressemblerait trop à ce que nous exécrons : le munichisme aux relents de caleçons humides, la lâcheté du pétaino-pacifisme, les fleuves tranquilles d'une France indolente, charriant des chiens crevés au fil d'une eau nauséabonde.
Cette guerre serait la nôtre parce que cette planète est là nôtre. Il faudra admettre qu'elle est devenue un vaste HLM, et qu'on ne peut impunément laisser le voisin du dessous graffiter les ascenseurs ou briser les boîtes aux lettres. Cette tolérance-là s'apparente à de la démission. Du reste, nous n'avons pas encore les moyens de déménager.

Ceux qui marmonnent aujourd 'hui «mieux vaut Saddam que la guerre» ne sont que les rejetons de ceux qui clamaient hier «mieux vaut être rouge que mort» et pensaient avant hier «mieux vaut Hitler que Blum» ; c'est la sempiternelle théorie des couards qui préfèrent le confort des sujétions aux périls de la liberté; la moiteur des geôles au grand air de la guérilla.
Au fond, toute l'affaire du Koweit tient dans la fable du chien et du renard.

On me dit que le Koweit était un artefact, son régime une décadence insolente et insouciante. C'est possible. Mais la liste serait longue des pays qu'il serait alors légitime d'annexer, un coup d'oeil à l'atlas suffira pour s'en convaincre. Nous-mêmes, Français, mériterions-nous alors notre indépendance ? La morale en politique est décidément à géométrie variable; tenons-nous en à quelques principes irrécusables : la conviction contre l'abandon, l'intérêt général contre les profits de quelques-uns, le combat contre l'armistice, l'esprit de défense contre l'esprit de désespérance. En bref, la Résistance contre la Collaboration.

Cette guerre serait la nôtre: si elle a lieu, peut-être irons-nous mourir pour Koweit-City, et ce ne sera pas de gaîté de coeur (le Koweit ne sera certes pas notre Espagne ). Disons-le tout net : l'honneur d'une civilisation pèse plus que la vie de ses enfants, car une civilisation sans honneur condamne ses enfants plus sûrement encore. La paix n'est belle qu'immaculée. Le plus sûr moyen de la préserver reste de préparer la guerre : c'est d'oublier ce précepte, qu'ils avaient pourtant forgé, que périrent les Grecs. C'est de le négliger que les Koweitiens se sont mis à mal. C'est de le répudier que nous bafouerions
le plus certainement nos convictions.


* Etudiant à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris.


Paru dans Koweit Libre N° 3 -mercredi 2 janvier 1991