Ce n'est pas le moindre des mérites du Législateur scolaire que d'avoir précipité les hordes barbares dans les bras d'Euclide et de Lobatchevski, faisant ainsi place nette à quelques rares chevaliers avides d'en découdre avec le génie attique. Je fus de ceux-là, de cette cabale éclairée, de ces quelques "aristos" héritiers d'un savoir millénaire. Je le fus sous l'autorité ferme et bienveillante de deux précepteurs brillants. Le premier, Paul SUEUR, habile initiateur sous des dehors sévères, fit de moi un athlète courageux, quoique incomplet. La deuxième, Corinne COURCHIA, me conduisit à la bataille, sur le théâtre de la Langue, sur le front de la Version. Ensemble, nous combattîmes à Marathon et à Platée. Ensemble, nous vainquîmes les Perses et les Mêdes. A nous, Troie et Syracuse ! A nous également l'intime conversation du vieux Socrate, les sombres mélancolies de Marc-Aurèle ! Je me souviens de veillées dans des bâtiments désertés où, avec mes compagnons de combat, Eric, Philippe, les deux Hervé, nous chevauchions nos Bailly sur les traces d'Ulysse, vigilamment guidés par notre stratège, tour à tour turbulente et autoritaire, répandant le rire et la terreur avec une égale largesse. Celle que nous appelions alors "Mademoiselle" avait en effet réalisé la plus alchimique des synthèses, la plus grecque aussi ; celle qui conjugue la tragédie avec la comédie, la peur avec la joie, les larmes avec le rire. En un mot, Eschyle avec Aristophane. Corinne COURCHIA est partie rejoindre Alexandre le Grand sur les hauteurs de Samarcande ; nul ne doute qu'elle a mis dans ses bagages l'édition de "la Poétique" que ses disciples lui avaient offert, en gage d'admiration. Nul ne doute qu'elle ne la feuillette dans le crépuscule d'un Orient révélé. Elle est partie, victime non pas de la cigüe, ni même de son propre reflet dans l'opaque fleuve de la vie, mais bien de la traîtrise des dieux. Celui qui a lu "Oedipe-Roi" sait l'injustice et la désespérante partialité du jugement divin. Mais savoir n'est pas nécessairement admettre.
Paru dans "Reflets de Bury", N° 16, mars 1987
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