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« M. Mathieu, ou Philippe »

« M, Mathieu, ou Philippe; mais surtout pas Mathieu, ou M. Philippe. » Je me souviens de cette matinée de septembre, où nous, jeunes recrues de quatrième, tremblant d'inquiétude, nous t'avons écouté te présenter.
« M. Mathieu, ou Philippe » ; c'est l'alternative que tu as proposé aux jeunes qui, depuis deux ans, murmuraient ton nom comme celui d'un cyclone tropical...
Pour certains, M. Mathieu, l'éducateur survolté, prompt au rire comme au coup de gueule.
Pour les autres, Philippe, le pote exigeant, le confident attentif, l'ami généreux.
Ce bureau du responsable de division, un no man's land aux couleurs du Muppet's Show, pour combien fut-il le cadre d'aveux graves, de discussions acharnées ; témoin de quelles larmes mal retenues, de quels mots durs, Kermit la grenouille ?
Là naissaient des idées "géniales", rarement abouties, toujours discutées : un
jour, tu exilais la division pour lui faire tourner un film. Un autre, on parlait
voyages, journaux, vidéoclubs, spectacles. Il fallait lancer le foyer, il fallait organiser un tournoi de foot...
Philippe, Premier ministre d'une République où le droit de vote n'avait pas été
assimilé ; Philippe, révolutionnaire d'une communauté par essence conservatrice.
Dans une de ces fameuses "assemblées générales" du jeudi, tu as vanté un jour les mérites de l'idéalisme.
L'idéalisme, que certains t'ont reproché, et que d'autres t'ont envié. L'idéalisme, qui te faisait conduire une voiture assez grande pour la transformer, à l'occasion, en autobus ! L'idéalisme, qui te rapprochait des "têtes brülées", dont tu partageais les utopies.
L'idéalisme, qui t'éloignait inexorablement des anciens amis, investis avec l'âge par le réalisme cruel.
Quand on choisit le monde des adolescents, il faut s'attendre à l'anathème des adultes, prompts à brandir les spectres de la mesure et de la raison.
Quand on fait apparaître, derrière le gris du quotidien scolaire, les tours élevées d'une cité d'amitié, de joie, de créativité, il faut craindre la déception de ceux qui attendent qu'on leur ouvre la porte...
Cette cité-Ià, Philippe, il ne faut pourtant pas renoncer à en annoncer, inlassablement, l'existence. Tu l'as fait longtemps à Bury -Bury où l'on parle souvent de cités, de communautés, mais où les vrais maçons perdent peu à peu la bataille du rêve- ; tu pars maintenant le faire ailleurs.

Laisse-nous te souhaiter de ne jamais douter de la Cité.


A.L.M.
ancien élève

 

Argenteuil, décembre 1985